Retour à la partie précédente : II. Ma rencontre avec le photographe Jeoffrey Guillemard
III. Le quotidien d’une lutteuse professionnelle
À peine sorti de l’Arena Mexico, grâce à l’aide du photographe Jeoffrey Guillemard, j’envoie un message à Lady Drago en lui expliquant ma démarche. Je vais droit au but : j’aimerais la rencontrer lors d’un entrainement pour ensuite assister à l’un de ses combats. Bonne nouvelle, elle est partante en plus d’être disponible ! Seul détail, cette jeune femme haute d’environ un mètre cinquante-cinq s’entraine au dernier étage d’une salle de sport située en dehors de la ville, dans un quartier “peu recommandable”.
Qu’importe, elle me propose de venir le surlendemain en fin de matinée. Le timing est parfait avant que je prenne le large. Quelques recherches pour préparer mon interview sur son profil Facebook avoisinant les 5'000 amis : Lady Drago posant avec d’autres lutteurs masqués par-ci, Lady Drago partageant des dessins d’elle par sa communauté par-là, sans oublier des selfies avec ses différents costumes.
Deux jours plus tard. J’ai bien fait de prendre mes précautions en appelant un Uber plus d’une heure à l’avance. Sur la route, la circulation est chaotique. Mais qu’est-ce qui pourrait bien nous pousser à modifier (du moins provisoirement) nos comportements ? Des passants portant un masque préfigurent un début de réponse. Un passager invisible et menaçant, la Covid-19, ne va pas tarder à arriver, notre mobilité sera bientôt impactée.
Avec 10 minutes de retard, j’arrive à la salle de sport : la Zeus school gym. Lady Drago et trois lutteurs ont débuté l’entrainement. Pas une minute à perdre, je leur demander de faire comme si je n’étais pas là pour que je puisse me concentrer sur la photographie dans un premier temps.
Pas de formule magique, pour devenir lutteur professionnel, des entrainements réguliers sont bien sûr nécessaires. Trois fois par semaine, sur des séances de deux heures, Lady Drago enchaine des séquences pour fluidifier ses gestes en collant au plus près de la réalité. Si les coups sont volontairement exagérés, le risque de blessure physique existe bel et bien.
Lady Drago, qui a choisi le dragon comme symbole de résilience, peut en témoigner, elle qui a été éloignée des arènes durant un et demi après une mauvaise chute. La lucha libre est souvent une affaire de famille. Le père de Lady Drago était connu comme le Dragon céleste tandis que son frère s’entraine à ses côtés.
Les lutteurs discutent durant l’entrainement, se donnent des conseils et font des signes lorsqu’ils sont mal retombés. Les mimiques (danses personnalisées, attitude de super-héro) sont maintes fois répétées. La gestion du souffle est également essentielle pour ne pas vaciller lors des spectacles.
« J’espère que tu as passé un bon moment Sébastien, s’exclame Lady Drago avec le sourire. La lucha libre me procure beaucoup d’adrénaline, surtout lorsque je me produits en public. D’ailleurs, c’est ce qui me motive d’aller de l’avant. » Je lui demande si elle est une technica ou une ruda. « Les deux, répond-t-elle avec le sourire. Tout va dépendre des besoins de l’arène. En ce moment je combats à l’Arena Tepito et l’Arena Lopez Mateos. Parfois avec des femmes, le plus souvent en mixte car mon entraineur m’a formé à cela. »
Justement, existe-t-il une différence entre les lutteurs et les lutteuses, en particulier dans ce pays à la réputation machiste ? « Non, pas selon moi. On suit le même parcours : on se fait connaitre dans des gymnases et dans des spectacles de rue avant d’attirer l’attention des plus grosses arènes. »
Et que pense-t-elle du mouvement féministe de plus en plus médiatisé dans le pays après une nouvelle vague de féminicides ? As-t-elle envie d’être l’une des porte-paroles de cette cause ? « Ce n’est pas pour moi ces questions-là. Je ne suis pas féministe », tranche-t-elle sans sourciller.
Uppercut, fin de l’interview. Je regagne le centre de México. J’ai beau réfléchir à un potentiel article, difficile de trouver un angle original et décalé. Assister au combat de Lady Drago la semaine suivante m’aidera peut-être à y voir plus clair…
Manque de chance, le spectacle est annulé. Ce projet tombe à l’eau, dommage. Je préfère me concentrer sur la suite de mon voyage. J’aurais peut-être l’occasion de parler de la lucha libre une prochaine fois. Après tout, un nouveau projet éditorial trotte dans ma tête depuis janvier. Nom de code : Nouvelles Odyssées.
Sébastien Roux
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Texte © Sébastien Roux - Photo de couverture © Sébastien Roux