Retour à la partie précédente : II. Les yeux tournés vers la Malinche
III. Cuetzalan, suspendu sur un tronc d’arbre
Pas le temps de niaiser. De retour de la Malinche, je décide de partir deux jours à Cuetzalan, une petite ville coloniale perdue dans la nature à trois heures de route de Puebla. J’ai totalement confiance en Arturo et Pepe, mes deux hôtes dénichés sur Couchsurfing.
Je leur laisse mon sac en prenant juste l’essentiel pour 48h. Sur la route, un épais brouillard apparait. Impossible de distinguer l’horizon, je laisse la place à l’imagination. Cuetzalan est une perle perdue dans la cambrousse. Elle ne scintille pas immédiatement mais on s’attache vite à elle.
Immersion dans le marché indigène
J’ai choisi de venir un dimanche car ce jour-là elle se remplit, en particulier le long de la rue Carlos Garcia où les nombreuses échoppes s’agglutinent les unes sur les autres. Bienvenue au marché indigène !
On y trouve de l’artisanat, des fruits, des légumes, du café moulu sur place, du chocolat ou encore des robes traditionnelles. Des pâtisseries sont vendues pour l’équivalent de 5 centimes. On peut également gouter à du maïs trempé dans de la mayonnaise et des épices. Rien que d’en parler, j’en salive déjà.
Ici les odeurs se répandent et se mélangent. La rue est bondée, nous marchons au ralenti. J’ai l’impression d’être le seul occidental. Pas une fois j’entends de l’anglais ou du français. Si le lieu est connu des Mexicains, il ne figure pas vraiment sur les catalogues de voyage. Tant mieux pour moi, l’immersion est décuplée.
Cascades et communautés indigènes
Je dispose d’un hébergement pour le soir. J’ai contacté Erica sur Couchsurfing. Enceinte de plusieurs mois, elle ne peut m’accueillir dans sa maison mais me propose une cabane à deux pas du centre-ville. Normalement elle la loue mais en ce moment elle est n’est pas utilisée. Elle me demande juste de payer les frais pour le ménage, j’économise l’équivalent d’une quinzaine d’euros que je dépenserai en cadeau. Habile.
Je savoure le fait de dormir sur un lit confortable. Le lendemain matin, je me rends compte que j’ai passé la nuit avec un papillon noir énorme. Lui aussi avait sans doute besoin de repos.
Erica me propose de faire une petite balade avec elle et son chien jusqu’à une cascade. Elle me raconte qu’elle est originaire de la capitale et qu’elle a voulu partir vivre à Cuetzalan avec son compagnon pour devenir guide touristique. La région regorge de beautés, plusieurs jours sont nécessaires pour découvrir tous ces trésors cachés. Je la crois sur parole alors que nous arrivons au pied de la cascade. Elle m’explique que Cuetzalan est connue pour ses nombreuses communautés indigènes, plus de 300 selon elle. Ce qui signifie autant de langues, de coutumes et d’habits variés. Ici la richesse n’est pas forcément monétaire, mais elle est hautement symbolique.
La Danza de los voladores, un spectacle inoubliable
Sur la place centrale de Cuetzalan, à côté de l’église, trône un long bout de bois avec des planches fixées pour atteindre le sommet où sont vissées quatre rondins de bois qui forment un carré.
Après avoir visité le marché indigène, je sens qu’une agitation monte autour de la place centrale. Je m’installe près du mur de l’église en suivant du regard cinq hommes en tenues traditionnelles équipés de cordes sur les épaules. Sans un regard vers le sol, ils montent, sans sécurité pour le moment. Je retiens mon souffle, à cette hauteur une chute serait fatale.
Une fois au sommet, les cinq hommes passent les cordes autour de leur taille ou de leurs pieds. Chacun occupe un coin du carré, l’un d’entre eux est au centre, je l’entends réciter des mots dans une langue que je ne connais pas puis utiliser des instruments dont une flute pour créer un rythme théâtral. Le spectacle peut commencer.
Quatre hommes se jettent dans le vide. Ils ne tombent pas, ils tournoient, la tête vers le bas, les bras ouverts comme le Christ. Difficile de voir leur visage mais ils n’ont pas l’air malheureux suspendu dans le vide ! Le carré au sommet tourne pour les accompagner. Ils feront treize tours chacun.
Ce chiffre n’a rien d’un hasard, additionné cela fait 52. Un chiffre sacré dans cette tradition. 52, comme le nombre d’années avant le début d’un nouveau cycle sur terre selon leur croyance. Face à la peur de voir la fin du monde, ce rite permet une transition réussie vers l’inconnu. Et si on commençait à tourner nous aussi ?
Erica m’explique qu’il existe plusieurs troncs d’arbres similaires sur les places des villages aux alentours. Ils sont de taille variable. Chaque année, vers le mois de septembre, des habitants remplacent ces troncs d’arbres en cherchant leurs successeurs dans la forêt. Toujours plus haut et toujours plus majestueux de préférence.
Des rites, des chants, des prières, sont organisés autour de l’arbre élu. Puis il faut l’amener sur la place du village, à mains nues, avec la seule force et volonté des êtres humains. Erica me dit que certains perdent la vie, épuisés par l’effort. Je ne sais pas cette histoire est volontairement exagérée mais elle a trouvé les mots pour me happer. Je rêve de revenir à Cuetzalan pour réaliser un reportage complet sur cette tradition ancestrale.
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Texte © Sébastien Roux - Photo de couverture © Sergio Saúl Bonilla Luna